Face au Covid-19, l’état d’urgence est décrété, et certains établissements ont déjà mis en place un système de télétravail. D’autres n’ont pas cette possibilité, et se retrouvent face à un dilemme, comme les centres d’appel.
ans un monde qui lutte contre le coronavirus, le télétravail est le mot d’ordre pour un grand nombre d’entreprises qui ont cette possibilité de protéger leurs salariés, et de participer ainsi à la limitation de la propagation du Covid-19. La pandémie plonge le secteur dans une crise sans précédent : l’Organisation mondiale du travail (OMT) prévoit une perte de 25 millions d’emplois.
Au Maroc, diverses entreprises ont demandé à leurs employés de travailler à distance durant cette période où le confinement est la seule solution sanitaire. Malheureusement, tous les métiers ne peuvent pas être pratiqués à distance. Alors que le royaume a annoncé la fermeture des cafés et restaurants, la grande majorité des serveurs se retrouvent face à un avenir incertain, mais ce ne sont pas que les métiers liés à la restauration qui ont pris un coup lors de cette pandémie.
Les jeunes travaillant dans les centres d’appel sont également dans le flou. Plusieurs d’entre eux se sont retrouvés face à des ultimatums imposés par leur employeur, malgré les mesures prises par l’État pour accompagner les entreprises touchées par le choc de la pandémie, en convention avec la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).
“La relation client étant un secteur où l’humain est au centre du métier, les membres de l’Association marocaine de la relation client (AMRC) mobilisent toutes leurs ressources dans la gestion de la crise Covid-19 et suivent rigoureusement le déploiement des mesures préventives mises en place…”, note un communiqué de l’AMRC qui, depuis 2003, regroupe les principaux “outsourcers” spécialisés dans la gestion de la relation client à distance au Maroc.
Dans ce document, l’association précise qu’outre les mesures sanitaires, le télétravail est “une autre mesure pour laquelle les membres de l’AMRC mettent tout en œuvre”. “En effet, les acteurs de la relation client travaillent d’arrache-pied afin d’accélérer, dans la mesure du possible au regard des très fortes contraintes techniques, le déploiement du télétravail pour leurs collaborateurs, pour réduire les risques d’exposition au Covid-19”, ajoute le communiqué de l’association, consciente des difficultés techniques que peuvent rencontrer les employeurs pour la mise en place de ce système.
Pourtant, malgré les consignes de l’association, certains donneurs d’ordre à Casablanca n’hésitent pas à forcer la main de leurs employés en leur imposant des ultimatums, en pleine période de crise.
Lorsque l’option du télétravail a été véritablement envisagée par plusieurs entreprises marocaines au cours de la semaine, les employés d’un centre d’appel casablancais ont attendu quelques jours avant une réaction de leur employeur. Mardi 17 mars, leurs responsables leur proposent deux solutions face à la crise : déposer leur démission et obtenir par la même occasion leur solde de tout compte, ou déposer une demande de congé sans solde jusqu’au 7 avril.
“Nous sommes véritablement dépités. Nous espérions pouvoir poursuivre notre travail depuis nos domiciles, mais a priori c’est techniquement irréalisable en ce moment”, nous confie Ilias, 27 ans, qui vient de conclure sa première année à l’entreprise. “Nous serions payés pour les jours qu’on a travaillé au mois de mars, mais ce n’est pas suffisant. Certains d’entre nous font vivre leurs parents ou leurs frères et sœurs, ils n’ont vraiment pas de visibilité”, ajoute notre interlocuteur.
En effet, depuis le début des années 2000 et le boom des centres d’appel et entreprises d’outsourcing au Maroc, les critères de recrutement de ces établissements ont évolué. Au départ, ces entreprises offraient une opportunité aux jeunes étudiants pour financer leurs études ou arrondir leurs revenus tout en cumulant de l’expérience, mais l’évolution du marché du travail a tout changé.
En 2019, le secteur des centres d’appel a été le plus important recruteur avec 70 % des offres sur le marché. Aujourd’hui, plusieurs jeunes actifs y font des plans de carrière, concrets et réalistes.
C’est le cas d’Adil, 28 ans, qui travaille en tant qu’agent de production (prises de rendez-vous) dans un autre centre d’appel à Casablanca. “L’entreprise emploie près de 200 personnes, cette crise sans précédent a forcé les responsables à réagir. Malheureusement, tout ce qu’on nous a proposé, c’est un congé sans solde jusqu’au mois d’avril minimum. Comment je vais faire pour payer mes charges, et assurer la pérennité de mon foyer ?” se demande ce natif de Safi, qui est arrivé à Casablanca il y a plus de six ans pour ses études, avant de se retrouver responsable de son foyer depuis le décès de son père il y a moins de deux ans.
Des cas comme Adil, il y en a certainement beaucoup. Au Maroc, les centres d’appel sont les recruteurs attitrés des jeunes. Des étudiants subsahariens travaillent également dans ces établissements pour pouvoir financer leurs études ou projets d’avenir. Et se retrouvent face au même ultimatum.
C’est le cas de Lamine, qui comptait sur ses revenus mensuels pour payer ses charges en poursuivant ses études “du mieux qu’il peut” à l’université Hassan II de Casablanca. “On l’a senti venir, dès que l’université a fermé ses portes par mesure préventive. On espérait une solution, mais un congé sans solde, c’est l’équivalent d’une balle dans le pied pour nous, étudiants vivant loin de nos familles. Ils disent qu’on pourra éventuellement reprendre en avril, mais personnellement, vu la conjoncture, j’en doute”, confie à TelQuel cet étudiant sénégalais de 25 ans.
Dans le cadre de son suivi du Covid-19 au Maroc, TelQuel a réalisé un entretien avec un avocat spécialiste du droit du travail, pour répondre aux questions que se posent les salariés en cette période. Concernant les congés “forcés”, Me Zakaria Mrini nous explique que “de manière générale, le Code du travail ne prévoit aucunement la faculté à l’employeur d’obliger un salarié à prendre des congés. Le Code du travail présente les congés comme un droit des employés et non comme une obligation.”